Arnaud des Pallières // Is Dead (Portrait Incomplet de Gertrud Stein) (2000)

so 1467378181235 SO | 2021-01-20 09:26

Synopsis :

Depuis sa tombe, au Père Lachaise, la voix de Gertrude Stein raconte son enfance et son adolescence américaines, puis son arrivée à Paris, en 1904, à l’âge de 30 ans. Alice Toklas, sa compagne de toute une vie, poursuit le récit des événements qu’elles vécurent ensemble. Intimes de Picasso, Apollinaire, Matisse et tant d’autres, les deux femmes vécurent (conjugalement) les temps les plus riches et les plus bouleversés du siècle. Retour au Père Lachaise : la voix de Gertrude Stein parle de l’écriture, de la mort, puis se tait.

Largement méconnue au regard de l’importance de son oeuvre, Gertrude Stein est, aujourd’hui encore, surtout connue pour ses talents de collectionneuse : elle fut l’une des toutes premières à acheter les oeuvres de Picasso, Matisse, et d’autres jeunes peintres du début du XXe siècle. Egalement connue pour ses amitiés artistiques avec Picasso, Matisse, Braque, Apollinaire, Satie, Man Ray, Cocteau, et Duchamp, elle acquit une notoriété tardive et soudaine, à l’âge de soixante ans, grâce à son premier livre de mémoires : L’autobiographie d’Alice Toklas. L’ouvrage, écrit en six semaines dans ce qu’elle appelait son “style à faire de l’argent”, fut un grand best seller des années 30.

Le film s’attache cependant à privilégier l’aspect, moins connu, et de loin le plus important de la vie de Gertrude Stein, qu’est son aventure littéraire. Gertrude Stein écrivit en effet une quantité incroyable de romans, pièces, poèmes, opéras, ballets, portraits, nouvelles, scénarios de films, livres policiers ou pour enfants, renouvelant à chaque fois le genre auquel elle s’essayait.

Indépendante de tout courant et de toute “école artistique”, il n’est pas exagéré de dire de son entreprise littéraire qu’elle se situa, et se situe encore aujourd’hui pour nous, à l’avant-garde des avant-gardes, tout en demeurant d’une incroyable drôlerie et d’une étonnante simplicité.

Note d'intention :

L’oeuvre de Gertrude Stein se tient sous le coup d’une double question : Que faire, en littérature, avec le temps. Que faire aussi avec l’espace ? A quel temps raconter ? Au passé ? Au présent ? Parce que rien n’advient que dans le présent, mais que tout présent raconté bascule inévitablement dans le passé, il faut à Gertrude Stein toute la force de déploiement d’un art nouveau pour inventer et maintenir une sorte de “présent continu”. Quel “espace” investir, lorsqu’on cherche à décrire un individu? Son intérieur? Son extérieur? Pour tenter d’élucider ce qui fait qu’Untel est Untel, faut-il narrer ses faits et gestes ou chercher à dégager l’essence intime de son être ?

J’ai voulu placer ce portrait (incomplet, forcément) de Gertrude Stein sous le coup d’une perpétuelle hésitation entre passé et présent, entre l’intérieur des êtres ou des choses racontés, et leur extérieur. Il fallait donc inventer des équivalents cinématographiques qui “traduiraient” Gertrude Stein en cinéma, comme elle-même s’était évertuée à “traduire” les êtres et les choses qui l’entouraient en littérature. Et ce geste m’est venu de l’insistance, chez elle, à comparer sa démarche au processus même du cinématographe.

Je n’ai pas exactement souhaité faire un film “sur” Gertrude Stein mais plutôt faire ce qu’aurait pu être un film “de” Gertrude Stein. C’est pour cela que je me suis permis de titrer le film : “Portrait Incomplet de Gertrude Stein”, avec le double sens du mot “de”. Autant un portrait d’elle, qu’un portrait fait par elle. En ce sens, mon film tient autant du documentaire, que du profond et inévitable désir de fiction que porte toujours en lui le documentaire.

Arnaud des Pallières — samedi, janvier 10, 2009