SARTRE / ENGAGEMENT LITTERAIRE / Le Monde, du 14 mai 1971.

so 1467378181235 SO | 2020-10-31 10:29

« A plusieurs reprises, précédemment, vous aviez parlé du "désengagement total" de Flaubert et dans "Questions de méthode" vous parlez de son engagement littéraire. Quelle articulation voyez-vous entre ces deux idées ? ».>

Réponse :

« Le désengagement total, c'est ce qui apparaît si l'on considère en surface tout ce qu'il a écrit. Mais on constate ensuite un engagement sur un second plan que j'appellerai politique, malgré tout : il s'agit ici de l'homme qui a pu par exemple injurier les communards, un homme dont on sait qu'il est propriétaire et réactionnaire. Mais si on s'arrête à cela, on ne rend pas justice à Flaubert. Pour le saisir vraiment, il faut aller jusqu'à l'engagement profond, un engagement par lequel il essaie de sauver sa vie. L'important, c'est que Flaubert se soit engagé à fond sur un certain plan, même si celui-ci implique qu'il ait pris des positions blâmables pour tout le reste. L'engagement littéraire c'est finalement le fait d'assumer le monde entier, la totalité. Prendre l'univers comme un tout, avec l'homme dedans, en rendre compte du point de vue du néant, c'est un engagement profond, ce n'est pas simplement un engagement littéraire au sens où l'on s'engage à faire des livres. Comme pour Mallarmé, qui est un petit-fils de Flaubert, il s'agit là d'une véritable passion, au sens biblique. »

Le Monde, du 14 mai 1971.