La pensée complexe au risque des conflits. TRAUMA. RECIT. CREATIVITE. Wilfried Graf, Gudrun Krämer, Augustin Nicolescou,

so 1467378181235 SO | 2021-02-06 09:34

De même, mais en référence plus particulière à la notion de « trauma culturel », Jeffrey Alexander développe une sociologie culturelle doublée d’une théorie narrative . Pour lui, le culturel possède une « structure » fondée sur des récits, et ces récits constituent la base de l’identité individuelle ou collective.

Le récit donne un sens et une identité à ceux qui le partagent. Il raconte d’où nous venons, ce que nous faisons dans le présent et où l’avenir nous emmène. C’est ce récit qui se trouve endommagé par un trauma dans une communauté, et ce dommage doit dès lors être réparé : il émerge alors un besoin d’empathie et de réparation de l’injustice commise dans le passé.

Le récit est entretenu par toute une variété d’acteurs, médias et autres agents collectifs, qui s’en emparent et le modifient en une « spirale de signification. ».

Renvoyant à Bernhard Geisen, Ron Eyerman appelle de ses vœux une « pragmatique culturelle » qui ferait le lien entre méta-théorie et études de cas, afin de comprendre non seulement comment le récit régule l’action, mais également l’idée selon laquelle l’action ne se réduit jamais au simple exercice d’un choix économique. Un drame social se déroule, avec ses acteurs et son public, et cette représentation « prend ses racines dans le rituel et la mimesis » plutôt que dans le calcul rationnel. À travers le récit, l’action humaine est à la fois « gouvernée par les règles et pourtant également productrice de règles, pratique et pourtant également créative »

Même s’il n’existe aucune hiérarchie objective des besoins, les êtres humains et les sociétés ont tendance à en privilégier certains et à fonder des valeurs collectives comme idéologies politiques sur cette priorisation. Ainsi, le marxisme met en général au centre même de son idéologie le besoin humain fondamental de bien-être (matériel) ; le libéralisme, le besoin de liberté (politique et économique) ; le nationalisme, le besoin d’identité (nationale) ; quant à l’approche standard sécuritaire « réaliste », c’est la survie (de l’État) qui y constitue la priorité absolue. Dans le cas de conflits profondément enracinés, on observe souvent une fixation sur un ou plusieurs des besoins humains fondamentaux, et en principe sur celui ou ceux-là mêmes qui sont manquants. On sait que des gens peuvent sacrifier leur vie pour leur identité religieuse ou culturelle (comme par exemple le droit à parler leur propre langue), mais d’autres peuvent également sacrifier leur vie à leur bien-être, ou leur identité à leur survie.

L’empathie, tout au moins l’empathie analytique, avec les autres parties en conflit est sans doute une nécessité pour une transformation complexe et interactive des conflits, mais elle est étroitement liée à la créativité. La créativité est la capacité mentale à voir quelque chose qui n’existe pas encore, pour le faire ensuite advenir. Partir d’une situation structurellement et culturellement violente, où les besoins humains fondamentaux d’une majorité ne sont pas satisfaits, et imaginer puis faire advenir cette satisfaction dans le cadre d’un système culturellement et structurellement pacifique suppose l’utilisation par chaque individu de l’intégralité de son potentiel créatif.

la facilitation du dialogue par un processus à moyen et long terme d’autoréflexion critique. L’autoréflexion va permettre aux parties prenantes de mieux se comprendre elles-mêmes, de mieux comprendre les autres et le conflit. Ce faisant, elles deviendront mieux à même de redéfinir leurs propres attitudes, présupposés et objectifs, et de parvenir à inventer des solutions et stratégies transformatrices afin d’atteindre ces objectifs redéfinis.

Ron Eyerman, « Jeffrey Alexander and the Cultural Turn in Social Theory », Thesis Eleven, 79, 2004, p. 25-30.

https://www.cairn.info/revue-communications-2014-2-page-199.htm#re23no23