Jérôme Meizoz, Postures littéraires. Mises en scène modernes de l'auteur.

so 1467378181235 SO | 2020-11-09 12:26

https://www.cairn.info/revue-sociologie-de-l-art-2008-3-page-109.htm

La « Finale » du nouveau livre de Jérôme Meizoz, écrivain et critique à l’Université de Lausanne, s’ouvre sur une citation de Sartre : « Partout, le rôle est là, qui attend son homme : pour celui-ci, c’est le rôle de juif ; pour celui-là, le rôle de propriétaire foncier. [...] À peine sorti d’un ventre, chaque petit homme est pris pour un autre ; on le pousse, on le tire pour le faire entrer de force dans un personnage. » Ces propos sont dans le droit fil des essais réunis ici et étudiant chacun la « posture » d’un écrivain (e.a. Stendhal, Ramuz, Giono, Céline, Cendrars et Cingria). C’est que tout écrivain cherche à se distinguer en « construisant » une posture : « La posture constitue l’“identité littéraire” construite par l’auteur lui-même ». Elle s’exprime de plus en plus réflexivement, à mesure que le champ littéraire s’expose toujours davantage aux feux médiatiques après 1830. Elle peut, avec ou sans l’aide des médias, aller jusqu’à cette « bouffonnerie » dont Gide taxa un jour Cingria.

2Fidèle au projet à long terme de son auteur, ce livre démontre qu’une approche sociale de la littérature peut et doit passer par des analyses microtextuelles rigoureuses. De telles analyses ont à tenir ensemble le versant « présentation de soi » en public (qui relève de la sociologie) et le versant « image de soi » (donnée dans et par le discours et qui relève de la rhétorique) de chaque posture d’écrivain concernée. Ces deux dimensions – on en lira ici des démonstrations convaincantes – s’éclairent car se façonnent mutuellement.

3La notion de posture, que l’on trouve déjà chez Alain Viala mais dont l’utilisation qui en est faite ici « a été reçue et discutée par nombre de spécialistes », désigne « la manière singulière d’occuper une “position” [Bourdieu] dans le champ littéraire ». Les travaux que Jérôme Meizoz y consacre visent à rendre compte de ce que des écrivains aux caractéristiques esthétiques, politiques, etc. pourtant similaires présentent parfois d’étonnants écarts de manières d’être et d’écrire. Aussi semble-t-il y avoir une « marge d’auto-création » dans l’« acte créateur ». La question se pose alors de savoir ce que signifient plus exactement cette marge et cette création : faut-il entendre que, en dehors de la marge, il n’y a guère que détermination et contrainte, et que, malgré les mises en garde de la sociologie contre la mythologie du créateur incréé (l’épigraphe sartrienne finale revêt ici toute son importance), ce dernier détiendrait quand même en son for intérieur d’animal social quelque principe secret, « une psyché, un imaginaire propre » – un « moi profond » comme aurait dit l’auteur de Contre Sainte-Beuve ? Ce livre ne permet pas encore de répondre au lecteur intrigué qui, en attendant, constate sous la plume de son auteur la « reconfiguration » (position, e.a.) ou l’effacement progressif (disposition, e.a.) du système conceptuel bourdieusien au profit de notions telles que « discours » et « scénographie ». Comme de tout bon livre, on sort de Postures littéraires tonifié d’avoir vu des fenêtres s’ouvrir en cascade sur de nouveaux horizons de recherche s’agissant pourtant d’auteurs “bien” connus. Mais, comme pour tout bon livre, on a aussi envie de lire le suivant – ce qui, dans l’esprit de la sociologie réflexive du champ littéraire à laquelle il tient, renvoie au projet de l’auteur et à sa posture (méta)littéraire.