Culture // Philippe Coulangeon

so 1467378181235 SO | 2020-12-11 09:42

https://journals.openedition.org/sociologie/1768

Il n’est sans doute pas de notion aussi vaste et aussi polysémique en sciences sociales que la notion de culture, qui renvoie alternativement à l’ensemble des symboles, des significations, des valeurs et des manières de faire propres à un groupe et au domaine spécialisé des activités expressives, savantes et populaires. La notion de culture est ainsi tout autant mobilisée dans l’exploration des grandes thématiques de la sociologie (stratification, inégalités, institutions, mouvements sociaux) que dans celle des domaines spécialisés de la production culturelle1 telle que les arts, les médias de masse, la science, l’industrie des loisirs et du divertissement, la religion. Les confusions qui entourent la notion de culture dans les sciences sociales se manifestent par ailleurs dans l’indétermination du statut épistémologique de la culture, mobilisée alternativement comme variable explicative et comme variable expliquée de l’analyse sociologique. Cette incertitude est particulièrement présente chez les pères fondateurs de la discipline. Si Marx subordonne clairement la superstructure idéologique et culturelle de la société à son infrastructure matérielle et économique (théorie du reflet), Weber, notamment dans L’éthique protestante et l’esprit du capitalisme, envisage au contraire l’orientation des croyances et des valeurs comme un moteur du changement social, tandis que les représentations, les normes et les croyances manifestent au plus haut point chez Durkheim la réalité coercitive des faits sociaux, irréductibles à leurs manifestations individuelles. L’approche sociologique de la culture, qui souligne notamment les notions de hiérarchie et de légitimité, diffère du reste de son approche anthropologique, qui insiste davantage sur le pluralisme et la relativité des valeurs et des contenus. Mais la sociologie contemporaine de la culture est elle-même traversée de controverses. Si certains auteurs envisagent avant tout le domaine de la culture comme un espace d’aliénation2, ou de domination, à travers les notions de « violence symbolique » et de « légitimité culturelle » (chez Pierre Bourdieu3, notamment), d’autres, dans le sillage des travaux de Richard Hoggart4 et Raymond Williams (courant des cultural studies)5, explorent au contraire les formes de résistance à la domination qui s’exercent dans le champ de la culture.